mardi 5 août 2014

Une Annonciation du Xe s. : un trésor dans une crypte byzantine du Salento



  Cet article, traduit, est destiné aux pages grecques du n° de septembre 2008  de « I Spitta », la revue de l'association GRIKA MILUME rédigée en griko.

Certaines choses sont des merveilles, des chefs-d'oeuvre magistraux, et leur splendeur éclate aux yeux de tous. Les trésors sont des choses cachées, qu'il faut chercher, et dont la beauté qu'ils révèlent quand on les découvre s'avère peut-être plus douce, et le souvenir plus durable.
La crypte des Stes Marine et Christine à Carpignano, un village de la « Grecia Salentina », dans les Pouilles, remonte à plus de mille ans. Cette église souterraine, creusée dans une roche fort tendre, présente quelques traces d'un remaniement qui a marqué au XVIIIe siècle le passage du rite grec au rite latin. L'ensemble, avec de belles fresques allant du IXe au XVe siècle, constitue un témoignage important de l'art byzantin médiéval dans la région du Salento*.
Dans la partie du naos appelée vima et réservée aux seuls officiants se trouve une Annonciation. Parmi les centaines de scènes où un ange agenouillé salue la future mère de Dieu, surprise (il y a de quoi ...) et recueillie toute à l'écoute, cette fresque datée de l'an 959 est une chose rare dans l'histoire de l'art. Presque toujours en effet, l'Ange se tient du côté gauche et la jeune Marie à droite. Les deux personnages tels que nous les présente la disposition des lieux dans les tableaux des siècles ultérieurs sont généralement séparés par un détail de l'architecture fictive: une colonne, le seuil d'une maison ou d'une chambre, ou bien l'Ange reste dehors, dans un jardinet, tandis que la Vierge est dans une pièce parfois somptueuse. Ici l'artiste a distribué la composition comme le lui suggéraient non pas les lieux de l'imaginaire mais les parois qu'il avait devant lui : un pan de mur plus étroit à gauche, un autre plus large à droite, qu'il articule avec la simplicité de l'évidence.

                   

 
 

 Disposer dans une surface restreinte Marie filant à la quenouille permettait à Theophylactos (le nom du peintre est mentionné dans une inscription) de déployer à l'aise, dans un grand froissement d'étoffes et avec toute la solennité voulue, le Messager divin et ses ailes splendides : quelle sorte d'archange Gabriel serait-il avec des ailes étriquées? Et de trouver ainsi la place pour rendre perceptible le mouvement qui amorce la génuflexion – mais ce n'est pas le moment ce jour-là de se présenter avec discrétion et retenue (« Pardon, mademoiselle, je ne voudrais pas vous déranger... »). Il sait déjà, lui, de quoi il s'agit, et la ligne qui dessine sa main droite – aux doigts joints en signe de prière – rend impérial le geste du bras qui mène le regard vers le Pantocrator assis sur le trône de majesté dans un autre espace, celui de l'abside, au centre, au coeur, de toute la scène.

Claire Papageorgiadis-Bodson

    *L'Institut de Technologie de l'Information du CNRC (Conseil National de Recherches du Canada) a mené en 2003, en collaboration avec l'Université de Lecce, le projet Carpiniana permettant une représentation virtuelle tridimensionnelle de la crypte.


Notes complémentaires

Les représentations les plus anciennes de l'Annonciation apparaissent au IVe siècle dans les catacombes de Priscilla et de Saint-Pierre-et-Saint-Marcellin.
Très vite, l'archange Gabriel sera pourvu d'ailes, à l'instar des Victoires et des Génies antiques.
La tradition picturale la plus ancienne, essentiellement illustrée par le christianisme oriental, montre Marie filant la laine ; selon le Protévangile de Jacques, elle tissait le voile du Temple.
Dans les oeuvres paléochrétiennes occidentales, l'image du Christ ou de l'Eglise était souvent remplacée par une colonne (Daniel Arasse, dans Histoires de peintures, montre bien comment ce motif, fréquent symbole politique ou religieux, figure la divinité dans nombre d'Annonciations). 
A Byzance par contre, remplacer l'image du Christ par une colonne était inadmissible : après le Triomphe de l'Orthodoxie sur l'iconoclasme (fête instituée en 843), on représentait directement le Logos incarné et non pas son symbole (cf. Hélène Papastavrou, Le symbolisme de la colonne dans la scène de l'Annonciation).


On distingue deux modèles iconographiques : Marie représentée en train de filer, ou tenant un livre (la Bible).
Le premier modèle, plus ancien, attesté depuis le IVe s., est caractéristique de l'Orient chrétien : on le retrouve, entre autres, dans l'art copte, byzantin et slave.
La seconde variante, Marie avec un livre, attestée seulement à partir du XIIIe s., est typique de l'Occident chrétien. Si l'on rencontre quelquefois dans l'art occidental des représentations de Marie filant, c'est l'effet de l'influence de l'Orient, par exemple de l'art byzantin. 

 Le modèle oriental de la Vierge fileuse se forma sous l'influence des apocryphes.
Aleksandra Wasowicz (Académie Polonaise des Sciences - Varsovie, « Traditions antiques dans les scènes de l’Annonciation ») formule l’ hypothèse que le modèle de la Vierge fileuse se serait formé non seulement sous l'influence des évangiles apocryphes, mais aussi sous celle de l'art antique, en particulier de l'art grec.
L’art chrétien aurait simplement emprunté à l'art antique le schéma de représentation de la femme filant, schéma fixe où deux personnages sont représentés face à face : une femme qui file, ou qui prépare la laine, placée à gauche, de profil vers la droite, et du côté droit sa compagne, de profil vers la gauche. Ce personnage est toujours debout ou en marche.

Dans les représentations les plus anciennes, paléochrétiennes, la Vierge, occupée à filer, est assise ou est debout du côté gauche de la scène. A la place de la compagne grecque, donc dans la partie droite de l'image, est représenté l'archange Gabriel, debout ou en position de marche.














 

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