TEMPETE MEDIATIQUE autour du « Padre
Pio » de Sergio Luzzatto
L'ouvrage
a soulevé en Italie une vive indignation, dont un article de Simona
Cantoni fournit un florilège. La traduction française
par Pierre-Emmanuel Dauzat (Padre
Pio. Miracles et politique à l'âge laïc,
Paris, Gallimard Essais, 2013, 528 pp.) a été accueillie de façon
élogieuse par M. Grodent (Le Soir), W. Galvani (www.nonfiction.fr),
J.Mercier (www.lavie.fr), V. Cirefice (www.laviedesidees.fr), X.
Pellegrini (www.letemps.ch),
entre autres.
Voici
la traduction de l'article paru
dans Studi
e ricerche di storia contemporanea n°69,
juin 2008, ISREC,
Bergamo.
OBSCURANTISME
ET ANTISEMITISME A LA DEFENSE DE L'HONNEUR DE PADRE PIO
Le
30 octobre 2007 est sorti en librairie l'essai de Sergio Luzzatto
Padre Pio. Miracoli e politica nell'Italia del Novecento
(Einaudi, Turin, 419 pp). Cet ouvrage très complexe consiste en une
enquête non seulement sur le saint Frère mais aussi sur la
construction du mythe du religieux de Pietrelcina et sur son histoire
- qui recoupe étroitement celle de l'Eglise italienne, de la
politique et même de la finance - et en une ample réflexion sur le
concept de sainteté et sur le phénomène de la dévotion populaire
à son égard.
Luzzatto
explicite dès l'abord le but de son travail et précise dans le
prologue: « Cet ouvrage se propose de rendre au Padre Pio de
Pietrelcina la place qu'il mérite dans l'histoire italienne du XXe
siècle. (...) Il s'agit surtout de reconnaître comment l'histoire
de Padre Pio parle de nous autant que de lui. A chaque période du
XXe siècle ou presque, les aventures et les mésaventures, les
épiphanies et les éclipses, les triomphes et les chutes de sa
silhouette brune renvoient à une histoire plus large et plus
profonde, plus importante et plus grave, dessinant la trajectoire,
les déviations, les creux d'une voie italienne particulière vers la
modernité » (éd.fr., p.30).
Pour
ce travail d'enquête étalé sur six ans, l'historien a utilisé des
sources d'importance : des documents inédits du Saint-Office
relatifs aux années 1919-1939, des documents policiers provenant des
archives d'Etat italiennes et françaises.
En
une puissante synthèse, Luzzatto ramène au jour certains aspects
obscurs de la vie de Padre Pio : il reconstruit ses rapports
avec le fascisme, rappelant entre autres la bénédiction qu'il donna
le 15 août 1920 sur la place de San Giovanni Rotondo aux oriflammes
du ras fasciste Giuseppe Caradonna, protagoniste quelques
mois plus tard de la tuerie qui mena à l'exécution de onze
villageois, une des actions les plus violentes du fascisme des
débuts ; il retrace son rapport étroit avec Emanuele Brunatto,
maître-chanteur, espion des fascistes et collaborateur des nazis au
moment de Vichy; il revient, grâce à la consultation d'une
documentation inédite, sur les doutes exprimés au sein même de
l'Eglise catholique quant à la véracité des stigmates, doutes
renforcés par la mise au jour de quelques billets autographes où le
saint demandait des doses importantes d'acide phénique et de
vératrine, des substances aptes à provoquer ses fameuses plaies aux
mains ; enfin il analyse la position critique du Vatican, durant
le pontificat de Jean XXIII, vis-à-vis du comportement du Frère, et
spécialement de sa conduite morale et de ses rapports avec quelques
femmes.
Dans
les notes personnelles du « Bon Pape », restées jusqu'à
présent inédites, et qui sont un des moments forts de
l'ouvrage, le pape exprime avec des mots durs sa préoccupation quant
au Frère de Pietrelcina : « Avec la grâce du Seigneur,
je me sens calme et presque indifférent, comme en présence d'un
vaste et douloureux engouement religieux dont le phénomène
préoccupant approche d'une solution providentielle. Cela me fait de
la peine pour P.P. qui a aussi une âme à sauver et pour qui je prie
intensément. Le fait – la découverte par des bandes magnétiques,
si vera sunt quae referentur
(si ce qu'elles laissent entendre est vrai),
de ses rapports intimes et déplacés avec les femmes qui constituent
la garde prétorienne jusqu'ici infranchissable autour de sa personne
– fait penser à un très vaste désastre d'âmes, un désastre
diaboliquement préparé, pour discréditer l'Eglise dans le monde,
et spécialement ici en Italie. Dans le calme de mon âme, je
persiste humblement à considérer que le Seigneur faciat
cum tentatione provandum (met ainsi la foi à l'épreuve),
et que de l'immense duperie sortira un enseignement profitable à la
clarté et au salut de beaucoup » (éd.fr. p.383).
Nous
ne voulons pas ici discuter de la recherche historique effectuée par
Luzzatto, mais mettre en relief l'ample et étonnante « tempête
médiatique » déchaînée par cette publication. Avant
même que le livre ne sorte en librairie, des journaux et des sites
web catholiques l'ont attaqué avec véhémence et animosité ;
des périodiques s'adressant à un public familial ou féminin, qui
s'intéressent très rarement à des essais historiques, ont consacré
des pages et des pages à la figure du Saint aux stigmates offensée
par cette publication ; Luzzatto est intervenu dans de
nombreuses émissions TV pour « défendre » son travail,
expliquer la différence entre dévotion et histoire, répéter que
son essai ne porte pas de jugement quant à la sainteté ou non de
Padre Pio.
Cette
réaction courroucée envers un chercheur qui s'est limité à
reconstruire la vie d'un saint à travers des documents d'archives
peut se comprendre eu égard à la grande dévotion populaire dont
jouit Padre Pio, dévotion exprimée précisément par les lecteurs
de la presse dont question. Beaucoup moins compréhensibles sont les
tons et les arguments dont usent ces paladins de l'honneur du Frère
de Pietrelcina.
En
octobre 2007, quand le Corriere della Sera révèle
anticipativement le contenu du livre et ouvre un débat sur foi et
histoire, auquel prennent part Sergio Luzzatto, Vittorio Messori,
Aldo Cazzullo, Alberto Melloni, la bagarre éclate sur d'autres
journaux, en particulier dans le réseau des sites web catholiques,
une véritable chasse à la sorcière, à « l'historien ».
On n'attend pas de lire l'essai dans son entièreté et on déduit
immédiatement que le livre est une attaque à la figure de Padre
Pio, une entreprise dont le but est de démontrer l'inexistence des
stigmates et l'absence de fondement des miracles accomplis.
Les
reproches adressés à Luzzatto se ramènent à deux thèmes
fondamentaux : premièrement, aux dires de ses détracteurs,
Luzzatto est juif et en tant que tel n'a pas le droit de s'intéresser
à la religion catholique ; deuxièmement, en vertu du dogme de
l'infaillibilité pontificale, on ne peut mettre en doute le procès
de canonisation qui a amené Jean-Paul II à proclamer saint le Frère
de Pietrelcina le 16 juin 2002 sur la place Saint-Pierre.
L'attaque
la plus massive et immédiate est celle de la Lega cattolica
antidiffamazione, « association dont le but principal est
la défense des droits civils des Chrétiens, la promotion de
l'histoire, de la culture, de la vie de l'Eglise Catholique
Apostolique Romaine et de ses membres, du Souverain Pontife et des
hiérarchies et fidèles des autres Eglises Chrétiennes reconnues en
Italie et dans le monde » qui écrit sur son site
(www.cadlweb.org) :
« Suite
à un pamphlet anticatholique qui met en doute le caractère
surnaturel des stigmates de Saint Pio de Pietrelcina, en alléguant
de présumées preuves absolument fausses et infondées, la
Présidence de la Lega cattolica
antidiffamazione désire
attirer l'attention de l'opinion publique – et des catholiques en
particulier – sur les attaques continues envers l'Eglise
Catholique avec de graves interférences dans sa liberté et son
autonomie (...) ; Sergio Luzzatto pontifie sans arguments
sérieux à propos de l'authenticité des stigmates de Padre Pio,
s'aventurant jusqu'à juger de la validité des canonisations
proclamées par l'Eglise (...). Nous nous demandons quel scandale
aurait été soulevé par la communauté à laquelle appartient
Luzzatto si un catholique avait exprimé des jugements analogues sur
des questions relatives au culte hébraïque. Nous nous permettons de
suggérer au Professeur Luzzatto de consacrer son énergie à l'étude
de sa propre religion, vu qu'à l'égard du Christianisme - et du
Catholicisme en l'occurrence – il semble que la mesure ait été
largement dépassée. La Lega cattolica antidiffamazione
espère que la Communauté juive italienne et internationale voudra
prendre les distances par rapport à un acte pseudoscientifique
tendancieux et discriminatoire qui n'est étayé par aucun document
et se base au contraire sur des preuves largement démenties par les
documents existants ».
Le
blog Fattisentire.net qui se
définit « le portail pour une appréciation éthique de la
politique » publie au même moment un post intitulé «
Mr Luzzatto, vous n'avez pas honte ? » ; sur la même
page on indique les adresses mail de Luzzatto et les lecteurs sont
invités à lui écrire « et surtout, remerciez-le bien... ».
Les
« remerciements » ne se font pas attendre, si bien que
Luzzatto lui-même rassemble quelques-unes des lourdes accusations
reçues par mail et les publie dans un article sur le Corriere
della Sera le jour même où le
livre arrive en librairie, le 30 octobre 2007 : Padre
Pio, quand la science s'insurge contre les lieux communs. Mon ouvrage
contre intolérance, hagiographie et antisémitisme.
Les précisions de Luzzatto sur le but véritable du livre (ne pas
trancher une fois pour toutes si les stigmates sont vrais ou faux) et
sur sa non-appartenance à la religion juive, les déclarations de
son respect envers la dévotion populaire, les nombreuses archives
consultées comme source de la documentation étayant l'essai, dont
celles du Vatican auxquelles il a été le premier à accéder, n'ont
pas suffi à calmer la colère de ces nouveaux croisés de la
religion catholique.
Le
site Papa
Ratzinger Blog (paparatzinger-blograffaella.blogspot.com),
qui « veut être un hommage au Saint Père Benoît XVI »
se demande « qui sait ce qui arriverait si un catholique
offensait un juif de cette façon... ». Les lecteurs du site
laissent des commentaires divers : on y trouve des prières pour
le salut des juifs, des discussions sur la légitimité pour les
saints de recourir à certains subterfuges (les stigmates), des
invitations à Luzzatto à se verser sur les mains de l'acide
phénique « pour voir l'effet que cela fait durant une
cinquantaine d'années ». L'antisémitisme de certains messages
frise le ridicule : « Luzzatto est un juif à qui ne plaît
pas Israël, imaginez un peu si Padre Pio peut lui être
sympathique », « étant lui-même ce qu'on appelle
vulgairement un bouffeur de curés, Luzzatto est aussi un bouffeur de
rabbins » ; bref, Luzzatto n'a pas seulement le malheur
d'être juif, il a aussi le tort d'être un mauvais juif, non dévot,
non pratiquant, un athée en somme, ce qui aux yeux de ces blogueurs
est le péché le plus grave. A un lecteur anonyme qui se risque à
écrire : « il me semble de mauvais goût de décider que
la capacité à critiquer dépende de la religion » et qui
rappelle que certains catholiques, comme le Père Gemelli, ont émis
des doutes à propos de Padre Pio, il est promptement répondu que le
Père Gemelli n'a répandu que des poisons et que c'est sans doute
pour cela qu'il n'a pas encore été sanctifié !
L'analyse
de La giusta
Informazione 2,
un site géré par Gabriella Carlizzi (journaliste et écrivain) ne
mâche pas ses mots et en appelle au Diable en personne : « Si
Sergio Luzzatto voulait nous étonner, ou nous prendre par surprise,
en faisant vaciller la foi des croyants chrétiens catholiques, il a
manqué son but, et nous lui sommes même reconnaissants de cette
'courageuse' initiative, elle nous permet d'expliquer aux millions de
fidèles qui dans le monde entier vénèrent le Saint de Pietrelcina
combien Satan devient de plus en plus raffiné pour semer le doute,
le trouble, chez ceux qui peuvent peut-être vaciller, donnant ainsi
au malin l'occasion de voler des âmes au Seigneur... ». Madame
Carlizzi se montre cependant magnanime envers l'historien
« diabolique » : « Dans un esprit de charité
chrétienne, prions pour que notre frère Luzzatto soit, comme le fut
saint Paul, foudroyé sur la route de la lumière de Dieu, qui donne
la vue aux yeux de l'esprit. » (www.lagiustainformazione2.it)
Le
site Politica
Online
consacre beaucoup d'espace à l'affaire : il publie d'abord
presque tous les articles parus dans la presse nationale, favorables
ou non à l'essai, puis un long rapport très détaillé de Stefano
Campanella, directeur responsable de Tele
Radio Padre Pio,
tendant à démontrer l'authenticité des fameux stigmates, et ouvre
enfin un débat entre ses lecteurs avec un forum intitulé « Que
pensez-vous de la campagne du Corriere
et de Luzzatto sur Padre Pio ? » (www.politicaonline.net).
Une des premières réponses : « Luzzatto est juif, Mieli
est juif. 2+2 ? ». L'affirmation a soulevé des critiques
au sein même des lecteurs du site, mais le « modérateur »
qui se cache sous le nickname « Soldat du Roi » a
promptement répondu à qui l'accusait d'antisémitisme : « tu
risques de passer pour communiste ou laïc progressiste... peut-être
vaut-il mieux discuter avec davantage de sérénité et de
modération » , et de fait le débat se poursuit
sereinement : « il est donc plausible que d'un milieu d'où
émanent notoirement 99 % de laïcs bouffeurs de curés et de
maçons putréfiés soit partie une nouvelle attaque à l'Eglise, une
de celles que les gens, abrutis, prennent désormais pour la vérité
puisque après soixante ans de République on avale n'importe quelle
connerie ».
Jusque
sur Wikipedia, la fameuse encyclopédie internet gratuite, rédigée
et corrigée par les navigateurs eux-mêmes, des insultes antisémites
ont été adressées à Luzzatto. Dans la section Wikio, où sont
relatées les dernières informations d'actualité, en commentaire à
un article écrit avec une extrême modération par don Paolo
Padrini, auteur du blog passineldeserto.blogosfere.it,
un
« anonyme » délirant écrit, non sans quelque difficulté
de syntaxe et d'orthographe : « le cher Luzzatto reste
toujours un juif et je n'ajoute rien d'autre.. je pense seulement que
si un juif avait de façon imperceptible dit et écrit ou signalé
quelque chose sur la religion juive ou sur la shoa que ne serait-il
pas arrivé ! La troisième guerre mondiale !... Cela dit,
ce n'est pas pour faire de l'antisémitisme, ce que je ferais bien
volontiers, je ne comprends pas pourquoi le véritable italien
catholique permet tout cela et permet à un tel être malpensant
d'être professeur dans une université italienne et non pas
israëlienne dans son pays, inculquant des données et des opinions
erronées » (www.wikio.it).
Quelques
détracteurs de Luzzatto font preuve d'une certaine imagination :
pour Alberto Giannino, sur Petreus,
« le
quotidien online sur le Pontificat de Benoît XVI »,
l'accusation
de « juif » est manifestement étriquée : le voilà
donc qui définit l'historien « un juif protestant ».
Dans l'article intitulé
St Pio de Pietrelcina et le juif protestant en quête de popularité :
« Nous regrettons qu'une telle attaque émane d'un frère juif
avec lequel nous avons en commun pas moins de 38 livres de l'Ancien
Testament. Luzzatto et ses amis protestants ne se consolent pas de
voir chaque année sept millions de pèlerins se rendre à San
Giovanni Rotondo prier sur la tombe du saint canonisé par Jean Paul
II en 2002, comme si ces sept millions étaient tous des ignorants,
des analphabètes, sans foi, sans spiritualité, prêts à croire
n'importe quoi. Mais pourquoi cette attaque brutale et inouïe contre
un saint ? Parce que Luzzatto est un juif qui est proche des
positions idéologiques protestantes. Il n'aime pas le dogme de
l'infaillibilité pontificale, il n'aime pas le culte des saints et
il ne croit pas aux miracles. Et comme pour les protestants, pour lui
Jésus est un prophète, il n'est pas Dieu. Dans son ouvrage,
soi-disant rigoureux, Padre Pio est traité comme un imposteur, et
non pas comme un saint » (www.papanews.it).
Le
même quotidien online Petreus accueille aussi un article
Quand l'histoire s'insurge contre S.Luzzatto où l'auteur,
Pietro Siffi, explique : « avancer comme preuves
incontestables de simples soupçons – dont par ailleurs il a été
scrupuleusement démontré qu'ils sont infondés – dans le seul
but de 'démythifier' le saint de Pietrelcina n'est pas tâche
d'historien : c'est le travail empreint de parti-pris d'un
ennemi juré de Dieu et de l'Eglise, de qui se dresse contre elle et
croit qu'en discréditant ses saints il ruine sa crédibilité. A
cette tâche se sont essayés un grand nombre de ses adversaires,
présumant d'eux-mêmes avec orgueil, sans avoir réussi ne fût-ce
qu'à égratigner leur ennemie détestée. Eux sont morts, et on s'en
souvient à peine ; l'Eglise par contre est toujours vivante ».
Et de conclure son discours aux tons millénaristes : « Adorer
la déesse Raison pour refuser le culte au vrai Dieu est tout sauf
une marque d'impartialité. Voilà pourquoi cela fait sourire que
certains historiens veuillent 's'insurger contre les lieux communs',
tombant dans le plus banal et pénible des lieux communs
d'aujourd'hui : l'athéisme rationaliste. En agissant de la
sorte ils deviennent à leur tour les hagiographes de l'esprit
contemporain et peut-être trouveront-ils dans le futur à se mesurer
avec qui saura - d'un esprit serein et non prévenu – juger leur
entreprise comme tendancieuse et dénuée de rigueur ».
Le
site enfin propose une interview de Monseigneur Domenico Umberto
D'Ambrosio, évêque de Manfredonia -Vieste – au diocèse duquel
est rattaché San Giovanni Rotondo – et Président Mondial des
Groupes de prière voués au saint du Gargano, qui explique sans
mâcher ses mots : « Luzzatto est historien de métier,
mais qu'il laisse de côté les choses sacrées. Du reste, il n'est
pas catholique, que sait-il de notre religion? Ce livre représentera
sans doute un travail énorme de recherche mais il est le fils de
quelqu'un qui n'a pas la foi, parce que seul celui qui n'a pas la
foi, qui ne croit pas en Jésus-Christ, peut prononcer certaines
affirmations » et il ajoute « Je vous le dis :
quelqu'un qui vu sa formation religieuse nie l'existence du Christ
pourra-t-il jamais croire aux stigmates de Padre Pio ? ».
On
peut lire d'autres lettres « intéressantes » sur le site
du quotidien on line Effedieeffe dont l'action, lit-on à la
page d'accueil, est tournée « contre les ennemis de notre
civilisation occidentale (qui est catholique, avec d'importants
vestiges grecs et romains) » et qui se vante d'avoir diffusé
« des centaines de milliers de livres qui, même si ce n'est
qu'une goutte d'eau dans l'océan de l'agression au catholicisme, ont
peut-être contribué à freiner, de quelque centimètre, la
déchristianisation et donc la désertification et la déshumanisation
de la société ». A un lecteur (Giuseppe B.) qui fait valoir
que « ce n'est certes pas un pauvre petit professeur qui écrit
des livres qui va impressionner Padre Pio et ses innombrables fils
spirituels, tant s'en faut... La seule chose regrettable, et vraiment
très regrettable, c'est que dans notre chère patrie il y ait des
gens chargés de l'éducation de nos jeunes et de la formation du
futur de la Nation qui ont 'une consistance intellectuelle et morale
faible à ce point' », le directeur Maurizio Blondet répond
avec beaucoup de franchise : « Aux juifs la sainteté
donne des démangeaisons. Ils doivent cracher du venin aussi sur
Padre Pio, ce scandale. C'est à leurs fruits que nous devrions les
reconnaître ». Un autre lecteur remarque : « Les
sottises de l'historien sont excessives. Chez nous, en Italie, il
n'est que professeur d'université. En Israël il serait au minimum
rédacteur en chef » ; un lecteur enfin en réfère à
Jean XXIII comme au « pape communiste et maçon ».
Le
site Agerecontra
ne laisse pas non plus passer l'occasion d'attaquer Luzzatto ;
ce site est la voix du périodique du Circolo
culturale Triveneto Christus Rex,
« mouvement formé et géré par des catholiques fidèles à la
tradition des Trois Vénéties » : « Le juif
Luzzatto délire à propos de Padre Pio. Le Corriere
della sera
lui offre un vaste espace. Attaquer ce saint ' peu commode '
est une mode que le grand Corriere
ne peut laisser échapper » (www.agerecontra.it).
Concluons
ce rapide tour d'horizon des sites catholiques avec celui qui s'est
montré le plus mufle pour attaquer Luzzatto, en publiant de lui
une photo retouchée par l'adjonction d'oreilles d'âne. Il s'agit de
Cattolicesimo,
Portale Cattolico Apostolico Romano, où
dans un esprit très « catholique » se rencontrent pour
échanger des opinions les personnages surnommés Tridentino 72,
Bellarmino, Cristo-Re, Dominicus, Torquemas. On y lit : « Sales
infâmes ! Ils cherchent à traîner dans la boue la figure de
Padre Pio. Ils ont essayé de son vivant, et maintenant qu'il est
mort ils essaient à nouveau. D'ailleurs le nom juif du type qui a
écrit cette ordure ne peut mentir... ». Si un blogueur fait
remarquer que « Luzzatto s'il est juif est aussi un bel
antisémite », 'Bellarmino' après le photomontage de l'âne
lui rappelle que « les deux choses ne s'excluent aucunement.
Qui sont aujourd'hui les pires persécuteurs et exterminateurs du
peuple palestinien ? » (www.cattolicesimo.eu).
Les
journaux et revues catholiques adoptent un ton sans doute plus
réservé et plus 'politically correct' mais pas moins lourd que
celui des sites web, et dans bien des cas les critiques adressées à
Luzzatto sont les mêmes, démontrant que les journalistes de la
presse écrite ne connaissent pas non plus la différence qui
distingue recherche historique et dévotion religieuse.
C'est
Il Giornale qui s'est le premier intéressé à l'essai, le 23
octobre 2007, avec une intervention du vaticaniste Andrea Tornielli ;
dans un article occupant une page entière, où se détachent les
photos des vip adeptes du Saint (Luciano Moggi, Sofia Loren,
Valeria Marini, Victor Emmanuel de Savoie et Marina Doria), le
vaticaniste du journal rappelle que plusieurs médecins avaient déjà
exclu la thèse soutenue par Luzzatto selon laquelle Padre Pio
s'était provoqué les stigmates avec de l'acide phénique, soutenant
donc que les sources utilisées par l'historien pour son travail
manquaient absolument de tout fondement. Quelques jours plus tard le
même quotidien et le même auteur reviennent sur le sujet :
Padre Pio, le saint qui ne plaît pas aux progressistes (28
/10/ 2007), s'en prenant au Corriere della Sera coupable
d'avoir traité de l'essai dans une « flopée »
d'articles mais de ne l'avoir jamais critiqué.
Famiglia
Cristiana s'empresse de rassurer
les fidèles : Fausses Ombres sur Padre Pio
(11/11/2007) ; dans une interview au Père Paolino Rossi,
postulateur de la cause de canonisation, on explique que le livre de
Luzzatto « colporte comme inédites des révélations rebattues
et démenties », « la figure du Saint – dit le Capucin
– reste limpide et immaculée. Tout le reste est négligeable ».
Il
faut dire que cet hebdomadaire édité par la Società San Paolo
s'est montré parmi les plus équilibrés de tous ceux qui ont
critiqué l'essai de Luzzatto. Il accorde, avant tout, dès les pages
qui suivent un droit de réponse à l'auteur lui-même, dans une
interview où celui-ci explique que « en tant qu'historien, je
m'en suis tenu à l'abc de mon métier. On n'écrit pas 'pour' ou
'contre' mais 'sur' quelqu'un, en rendant compte des documents, des
témoignages, des données recueillies». Vient ensuite un petit
article Un scandale créé à dessein, où le Frère Antonio
Belpiede, porte-parole des Capucins du couvent de Padre Pio, dit que
« le travail de Luzzatto est honnête, rigoureux, scientifique
et fruit d'années de recherches. Avec les annonces de ces dernières
semaines, on a créé un problème qui n'existe pas ».
Il
Messagero, par contre, titre
Padre Pio, les flèches empoisonnées du bestseller)
(1/11/2007) ; Paolo Mosca, l'auteur de l'article, s'indigne :
« Franchement, nous pensions que, une fois déclaré saint, ses
détracteurs se seraient tus. Que non ! (...) revoici les ombres
et les soupçons quant à la sainteté du personnage. Et les cinq
mille Centres de prières voués à Padre Pio et actifs dans le monde
entier ? Et la construction de la Maison de la Souffrance à San
Giovanni Rotondo ? Et les millions de fidèles devant son
tombeau de marbre qui implorent grâces et esprit de paix ?
Par-dessus tout, Luzzatto défie le jugement des autorités
ecclésiastiques qui pendant des années ont examiné les pour et les
contre de la vie du Frère ».
La
Gazzetta del Mezzogiorno (26/10/2007)
en appelle à Sandra Lonardo Mastella, Présidente du Conseil
Régional de Campanie : Ne touchez pas à Padre Pio
s'intitule la longue interview dans laquelle elle affirme :
« J'ai lu le Corriere della Sera
et les articles sur le livre que Sergio Luzzatto a écrit sur Padre
Pio, mais les faits démontrent exactement le contraire : le saint de
Pietrelcina n'a jamais été une duperie, comme le pape Jean XXIII
lui-même l'a pensé au début. (...) J'ai une grande dévotion pour
Padre Pio. Dans les moments difficiles je vais prier à Piana Romana,
là où se trouve son orme, et j'en reviens pleine de sérénité.
Une de ses images saintes m'accompagne à chaque heure de la
journée ». Un jugement qui fait autorité, et qui ne laisse
aucune réplique possible !
Pour
expliquer à ses lecteurs le peu de fiabilité du livre de Luzzatto,
Libero publie en
première page un article de Antonio Socci intitulé Nouvelles
révélations sur Padre Pio ? Non, les bobards habituels
(25/10/2007). Le journaliste y affirme que « le préjugé qui
nie l'évidence tombe dans le ridicule », il annonce la sortie
et fait la promotion de son propre « livre sur ce grand saint
et sur certaines des choses bouleversantes qu'il a accomplies »,
Le Secret de Padre Pio (Rizzoli,
novembre 2007, 322 pp.), et déplore avoir dû, pour mener à bien
son travail, endurer « une indigestion de boue, (vu)
l'impressionnante diversité d'accusations, d'insinuations et de
calomnies qui se sont déversées sur lui (Padre Pio) pendant un
demi-siècle ». Il conclut en rappelant que « avec ces
souffrances (les stigmates) Padre Pio a 'payé le prix' de millions,
littéralement de millions, de grâces obtenues pour ceux qui
souffrent et de millions de conversions : communistes,
francs-maçons, protestants, agnostiques, qui trouvaient la foi après
être allés à San Giovanni Rotondo ».
Le
journal local L'Eco di Bergamo
ne laisse pas non plus passer l'occasion d'entrer dans la polémique :
Le cas Padre Pio, une tempête contre l'Eglise
(28/10/2007). L'auteur, Marco Roncalli, s'attache surtout à explique
que « le pape Jean XXIII voulait seulement arriver à la
vérité », qu'il n'y avait « aucune aversion »
vis-à-vis de Padre Pio, et qu'en définitive, « la campagne de
presse soulevée par le livre de Luzzatto intéresse aussi Jean-Paul
II : elle veut pour tous les deux les honneurs de la
béatification ». Somme toute, l'historien turinois a réussi
d'un seul coup à mettre en accusation trois « intouchables »
de l'Eglise catholique : un saint, un pape déjà béatifié et
un autre vicaire du Christ en bonne route vers la béatification.
Pour
l'hebdomadaire Oggi,
« l'historien de formation hébraïque (!) Sergio Luzzatto a
écrit un essai qui « relance venins
et accusations contre le Frère de Pietrelcina » mais les
siennes sont, « selon les experts » interviewés par le
journaliste (Antonio Socci, Andrea Tornielli et Rino Cammilleri,
journalistes et écrivains), « de vieilles insinuations, qui
ont toutes été déjà démontées par la réalité des faits
(Attaque à Padre Pio, Vincenzo
Sansonetti, 7/11/2007).
Gente
par contre, le journal concurrent, veut expliquer à ses lecteurs les
motifs réels de « la guerre entre Jean XXIII et le Frère »,
affirmant que le « bon Pape » aurait ouvert une enquête
sur le capucin à cause d'un « sérieux complot de ses
détracteurs » et rappelant que sur le point de mourir, Papa
Roncalli aurait affirmé : « à propos de Padre Pio je me
suis trompé » (Ce qu'il y a derrière les
accusations envers Padre Pio,
Paolo Scarano, 8/11/2007).
Pour
rester dans les hebdomadaires people, nous devons signaler l'appel
lancé par Diva & Donna : Défendons notre Padre
Pio (Cristina Pace, 6/11/2007),
un long article où Antonio Belpiede, porte parole des Frères
Capucins de Foggia, déjà interviewé par Famiglia
Cristiana à qui il avait
pourtant donné de tout autres réponses, retombe dans les
« médisances » contre le saint, tout en continuant à se
tromper dans l'orthographe du nom « Sergio Luzzato ».
L'hebdomadaire
Chi, enfin, publie un
article de Renzo Allegri, collaborateur de la revue et « l'un
des plus grands spécialistes de la vie de Padre Pio », qui se
dit déconcerté par les thèses de Luzzatto, « vu que la
récente proclamation de la sainteté de Padre Pio, en juin 2002, est
un acte solennel, qui implique 'le dogme de l'infaillibilité de
l'Eglise', une vérité de foi, que Dieu a confirmée directement par
son intervention, par un miracle » (Ces blessures
encore ouvertes, 7/11/2007).
Entrant ensuite dans le vif du sujet quant à l'essai, Renzo Allegri,
dans un syllogisme parfait, déclare avec fermeté que les documents
avancés par Luzzatto pour soutenir ses thèses « perdent toute
valeur probatoire si on les examine dans leur contexte historique
(...) Ce sont des documents objectifs, qui existent, mais qui ne
prouvent rien » ; il conclut son commentaire avec un
argument qui devrait mettre fin à toute discussion : « A
la mort du saint les stigmates ont disparu. Et il n'existe à cela
aucune explication scientifique ».
L'essai
de Sergio Luzzatto a donc provoqué un véritable tremblement de
terre dans le monde de la presse catholique, sa reconstitution
historique a non seulement déchaîné les réactions polémiques que
nous avons cherché à résumer, elle a mené aussi à la énième
publication sur le sujet (on a calculé qu'en Italie ont été
publiés plus de deux cent livres sur la vie de Padre Pio, dont plus
de cent-vingt titres depuis 2000, en ne tenant compte que des
publications d'une certaine importance).
Saverio
Gaeta, rédacteur en chef de Famiglia Cristiana,
et Andrea Tornielli, vaticaniste du Giornale
sont les auteurs de Padre Pio, le dernier soupçon. La
vérité sur le Frère aux stigmates
(Piemme, février 2008, 240 pp.), un ouvrage qui se propose
précisément de répliquer aux accusations lancées par Sergio
Luzzatto : « Sans aucune intention hagiographique, mais
sur la base de documents historiques et de témoignages de première
main, cette enquête veut répondre une fois pour toutes à ce
terrible dernier soupçon» lit-on dans la présentation par la
maison d'édition.
Et
ainsi, sur nombre des journaux qui avaient durement ouvert la
polémique contre Luzzatto, la bagarre est repartie, mais cette fois
on célèbre la nouvelle publication : Padre Pio,
défense des stigmates
(Avvenire, 26/2/2008),
Ces 'soupçons' sur Padre Pio. Un livre démonte les
thèses accusatrices de Luzzatto
(Famiglia Cristiana,
2/3/2008), Femmes, miracles et foi : la vérité
(Il Giornale,
26/2/2008), Luzzatto, l'historien qui snobe l'histoire (le
même Tornielli sur Il Giornale,
3/3/2008).
En
somme, on a écrit un autre livre pour répondre à ce « soupçon »
que Luzzatto avait cherché dès le début à éliminer, expliquant
dans le Prologue : «... il ne s'agit pas ici d'établir une
fois pour toutes si les plaies apparues sur le corps du Padre Pio
étaient de vrais stigmates, ni s'il accomplit de véritables
miracles. (...) Ici les stigmates et les miracles du Padre Pio nous
intéressent moins pour ce qu'ils révèlent de lui que pour ce
qu'ils nous disent du monde autour de lui : le monde bigarré
des frères et des prêtres, des clercs et des laïcs, des croyants
et des athées, des bons et des méchants, des cultivés et des
ignorants (...) En tant que pratique sociale, la sainteté comporte
des rituels d'interaction ; les saints comptent par la façon
dont ils apparaissent, non par ce qu'ils sont » (éd.fr. p.19).
(traduction :
Claire Papageorgiadis-Bodson)
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